0
Droit du travail / Liberté d'expression

Contrat et liberté d'expression

par
Adeline ESTEVES
le
11/17/22

Il y a quelques jours, le monde du football tremblait avec l’interview faite par Cristiano Ronaldo à la télévision anglaise avec Piers Morgan. Le portugais critique vivement son propre club, Manchester United, et son entraîneur lors de cet entretien. Mais pourquoi ? Nous avions attendu depuis des années le retour de l’enfant prodige dans son club de coeur mais toutes les histoires n’ont pas une bonne fin. Peu utilisé par Erik Ten Hag depuis le début de la saison, le portugais s’est senti délaissé par son club, en plus de soucis personnels (décès d’un enfant, etc). Selon Metro Sport, Cristiano Ronaldo devrait écoper d'une amende de 1,14 millions d’euros, en plus de sanctions sportives posées par le club.

Depuis longtemps, la liberté d’expression est reconnue par les textes internationaux, européens et nationaux comme un droit fondamental pour toute personne.

S’agissant plus particulièrement de la situation du salarié, il peut exprimer ouvertement son avis en tous lieux et par tous moyens. Le salarié jouit donc d’un véritable droit de critique à l’égard de l’entreprise, et toute restriction ne peut y être apportée que si elle est « justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché » (article L.1121-1 du Code du travail). Néanmoins, si la critique est admise, l’expression de ce mécontentement n’est pas complètement libre car la liberté d’expression du salarié ne doit pas comporter des propos diffamatoires, malveillants, menaçants ou excessifs (Cour de cassation, 3 juillet 2012). Cette dernière notion laisse une immense liberté d’appréciation aux juges dont les décisions procèdent d’un examen au cas par cas, en tenant compte du cadre dans lequel les propos ont été tenus et la qualité de salarié.

De plus, la jurisprudence montre une différence entre des propos à caractère public ou privé.

Le 10 avril 2013, la Chambre civile de la Cour de cassation a précisé que « les insultes ne constituent pas une injure publique dès lors que seul un nombre restreint de personnes y a eu accès ». Ainsi, les insultes ou propos outrageants qui seraient accessibles à tous sur les réseaux sociaux, ou autres moyens, peuvent exposer leur auteur au pouvoir disciplinaire de l’employeur (avertissement ou licenciement pour faute, selon le degré de gravité). Une sanction est donc prévue mais cette dernière n’est pas automatique car il appartient au tribunal de tenir compte des circonstances dans lesquelles les propos ont été tenus. Dans le cas de Cristiano Ronaldo, la critique est publique et filmée à sa demande.

Dans le monde du travail, la liberté d’expression existe car chacun a le droit d’émettre des opinions publiques, d’avoir des conversations privées ou le droit de ne rien dire. Ainsi, toute critique est tolérable dès lors qu’elle ne contient pas de propos injurieux ou diffamatoires (Cour de cassation, 27 mars 2013).

De plus, pour que l’auteur soit sévèrement sanctionné, il faut un réel abus de la liberté d’expression et le fait d’émettre un avis ne caractérise pas un tel abus. L’interview de Cristiano Ronaldo ne semble pas manquer de respect mais pose les bases de son mécontentement. Néanmoins, chacun aura son point de vue sur la situation et si des juges sont sollicités pour cette affaire, ils auront le pouvoir de décider du sort de l’international portugais.