Le 13 juin 2025, le Sénat a adopté une proposition de loi prévoyant un encadrement de la répartition des droits audiovisuels en Ligue 1, en imposant un ratio maximal de 1 : 3 entre le club le mieux et le moins bien rémunéré. Cette initiative vise à corriger les inégalités de revenus entre les clubs français, dans un contexte de crise récurrente du modèle économique du football professionnel. Elle s’inscrit donc dans une démarche de rééquilibrage des rapports de force économiques entre les clubs et pose les bases d’une réflexion juridique sur les fondements de la solidarité sportive, la régulation du marché du sport professionnel, et l’autonomie des instances sportives.
En effet, dans un contexte où les revenus audiovisuels constituent une part essentielle des finances des clubs, les modalités de leur répartition peuvent impacter profondément la compétitivité sportive, la viabilité économique et l’attractivité du championnat. En suscitant la vive opposition des grands clubs comme le PSG, Marseille ou Lyon, ce projet relance le débat sur la gouvernance du football professionnel et les limites de l’intervention du législateur.
Le débat ne se limite donc pas à une simple querelle budgétaire, il interroge les fondements du droit du sport, les prérogatives de l’État dans l’organisation économique du secteur sportif, et les principes concurrentiels européens.
Depuis la création de la Ligue de Football Professionnel (LFP), les droits TV sont distribués selon plusieurs critères : une part fixe versée de manière égale entre les clubs, une part calculée sur la base des performances sportives sur les cinq dernières saisons ; et une part dépendant de la notoriété, mesurée notamment par les diffusions TV et les audiences générées.
Ce système a mécaniquement renforcé les positions dominantes des clubs les plus médiatisés. En 2023, les écarts étaient saisissants, puisque l’écart se mesurait selon le ratio 1 : 5. En effet, le PSG percevait environ 80 millions d’euros, quand des clubs comme Clermont ou Ajaccio touchaient à peine 15 millions. Ce déséquilibre crée une barrière à l’entrée pour les clubs promus et accroît leur dépendance aux résultats sportifs.
Ainsi, la proposition de loi vise à plafonner à 1 : 3 l’écart entre le montant le plus élevé et le plus bas perçu par les clubs. Cette mesure entrerait en vigueur dès la saison 2026-2027. Les promoteurs de cette réforme avancent un objectif de solidarité et de compétitivité équitable au sein du championnat. Plus concrètement, aucun club ne pourra percevoir plus de trois fois ce que reçoit le club le moins bien rémunéré. Cette mesure vise à rompre avec la spirale des écarts croissants et à injecter davantage de solidarité dans la redistribution des ressources audiovisuelles.
Ce modèle s’inspire de celui en vigueur dans certaines ligues européennes, comme la Premier League anglaise, qui pratique une forme de répartition relativement équilibrée malgré des recettes bien supérieures. Le projet du Sénat ambitionne également de renforcer la régulation publique d’un secteur marqué par des faillites, des endettements massifs et des interventions publiques indirectes (subventions, stades municipaux, exonérations fiscales). Il s’agirait ainsi, selon ses promoteurs, de garantir une contrepartie tangible à l’investissement public dans le sport professionnel.
Le droit français reconnaît une certaine autonomie aux fédérations sportives et aux ligues professionnelles. Actuellement c’est l’article L.333-3 du Code du Sport qui encadre la répartition des droits audiovisuels fixant les critères de répartition. Il laisse ainsi à la LFP à une marge d’appréciation, mais toujours sous le contrôle de la Fédération française de football (FFF). Jusqu’à présent, les modalités de répartition faisaient l’objet d’une concertation interne, dans le respect du principe d’autonomie sportive. Le texte adopté par le Sénat viendrait donc modifier l’équilibre institutionnel actuel, en imposant un ratio par voie législative.
L’intervention du Sénat soulève donc une question centrale, jusqu’où le législateur peut-il encadrer la répartition de ressources propres à une ligue professionnelle ? Les clubs, par la voix de la LFP, ont dénoncé une « immixtion politique » dans une matière relevant de la compétence de gestion autonome. Ce bras de fer rappelle que le sport professionnel, bien qu’organisé de manière autonome, demeure soumis au droit commun et aux valeurs d’intérêt général.
En effet, en introduisant un critère obligatoire et externe de plafonnement, le législateur pourrait être accusé d’outrepasser ses prérogatives et de porter atteinte à cette autonomie.
La mise en œuvre d’un ratio 1 : 3 permettrait à des clubs historiquement sous-dotés de bénéficier de ressources supplémentaires leur permettant d’investir dans leur centre de formation, de stabiliser leurs effectifs ou encore de répondre aux exigences de la DNCG. Les clubs de seconde partie de tableau se félicitent pour cette mesure, qui leur offrirait donc une visibilité financière plus prévisible et une capacité à mieux former ou conserver leurs joueurs. Cela renforcerait également la compétition en Ligue 1, en évitant une trop grande concentration des ressources. La mesure pourrait également réduire la dépendance au trading de joueurs, pratique risquée qui expose les clubs à une volatilité excessive de leurs revenus.
Une Ligue 1 plus homogène en termes de budgets pourrait produire un championnat plus incertain, plus compétitif, et donc plus attractif pour les diffuseurs étrangers et les sponsors.
Pour les grands clubs, cette mesure pourrait compromettre leur attractivité à l’international et leur capacité à conserver des talents. Le PSG, l’OM ou Monaco craignent cependant une fuite des meilleurs joueurs vers des ligues plus lucratives. En effet, une baisse des recettes audiovisuelles pourrait se traduire par une diminution de la masse salariale, un affaiblissement sur les marchés des transferts, et une difficulté accrue à rivaliser avec les grands clubs européens.
Ils soulignent également que leur attractivité, qui bénéficie indirectement à tout le championnat (billetterie, droits TV internationaux, sponsoring), devrait donc justifier une part plus importante du gâteau. Selon eux, limiter artificiellement leur part reviendrait à pénaliser la locomotive du football français. La mesure pourrait aussi dissuader certains diffuseurs de s’engager sur des montants élevés si la répartition est moins concentrée sur les affiches majeures.
Il faut donc éviter une réforme brutale, potentiellement contre-productive, voire contraire aux normes constitutionnelles ou européennes.
La proposition de loi votée par le Sénat en juin 2025 constitue donc une inflexion majeure dans la gouvernance économique du football français. En imposant un plafonnement de la répartition des droits TV, elle vise à corriger un déséquilibre systémique, à restaurer l’équité sportive et à renforcer la solidarité au sein de la Ligue 1.
Ce projet soulève donc de sérieuses questions juridiques : atteinte à l’autonomie du sport, conformité au droit européen, respect des principes constitutionnels. Le débat est donc ouvert, et son issue dépendra non seulement des rapports de force politiques, mais aussi de la capacité du droit à arbitrer entre efficacité économique et justice sportive.