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Revue juridique

La multipropriété des clubs et les compétitions européennes : l’affaire Crystal Palace.

par
EAJF / A. VISTE
le
7/31/25

La semaine dernière, le 21 juillet 2025, le club anglais Crystal Palace a déposé un recours devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), afin de contester sa relégation de la Ligue Europa à la Ligue Europa Conference. Cette décision avait été prise par l’UEFA, en adéquation des règles encadrant la multipropriété des clubs.

En effet, John Textor possédait jusqu’à très récemment des intérêts financiers significatifs dans le club anglais, mais aussi au sein de l’Olympique Lyonnais (OL), ou encore le club brésilien Botafogo, via sa société Eagle Football Holdings. Toutefois, selon l’UEFA, cette situation viole l’article 5 du règlement portant sur l’intégrité des compétitions, car deux clubs sous contrôle commun ne peuvent participer à une même compétition européenne.

John Textor a contesté en affirmant avoir vendu ses parts détenues dans le club Crystal Palace avant la date butoir du 1er mars 2025, l’UEFA a quant-à-elle estimé que la cession n’était ni effective ni suffisante pour écarter tout risque d’influence décisive. L’OL, mieux classé en championnat de France, a donc été repêché à la place du club anglais. Ce dernier demande alors à être réintégré en Europa League, en contestant l’interprétation des règles UEFA.


Le cadre juridique de la multipropriété des clubs

La multipropriété de plusieurs clubs par un même investisseur est un phénomène croissant dans le football, et ce à l’échelle mondiale. Des groupes comme City Football Group (Manchester City FC, Palerme FC, New York City FC…), Red Bull (FC Red Bull Salzburg, RB Leipzig…) ou encore Eagle Football Holdings possèdent, ou codétiennent plusieurs clubs sur différents continents. Ce modèle permet ainsi de mutualiser les ressources, favoriser le développement de jeunes joueurs, mais surtout d’optimiser la compétitivité.

Cependant, l’UEFA règlemente strictement cette situation lorsqu’elle touche à ses compétitions. En effet, comme cité précédemment, l’article 5 du règlement UEFA sur l’intégrité des compétitions prévoit que deux clubs ne peuvent participer à une même compétition si, une même personne ou entité détient une influence décisive sur les deux clubs ; et si cette influence peut affecter la loyauté ou l’intégrité de la compétition. Concrètement, cela a pour objectif, d’éviter une situation dans laquelle 2 clubs appartenant au même groupe se retrouve face à face lors d’une phase finale d’une compétition UEFA par exemple. Par exemple, une finale d’Europa League opposant l’OL à Crystal Palace est inenvisageable. Il convient d’éviter tous conflits d’intérêts.

Pour déterminer cela, l’UEFA a fixé une date butoir, du 1er mars de chaque année, afin de garantir que toute vente ou modification de contrôle soit réalisée suffisamment tôt pour éviter toute collusion ou conflit d’intérêt potentiel entre les clubs du même groupe.


Les enjeux juridiques soulevés par le recours de Crystal Palace

Dans cette affaire, Crystal Palace soutient que la vente de ses parts par John Textor a été suffisamment avancée ou effective pour éliminer toute « influence décisive » au 1er mars. Le club invoque notamment le principe de proportionnalité, en droit du sport, qui impose que toute exclusion soit justifiée, nécessaire et proportionnée aux objectifs poursuivis.

L’UEFA, de son côté, fait valoir que l’examen des structures juridiques a révélé un maintien de liens d’influence potentiels, qu’ils soient financiers (détentions indirectes), opérationnels (siège au conseil) ou contractuels (accords non résiliés). Elle applique donc ici une lecture stricte de l’article 5, pour préserver l’intégrité de la compétition.

Le tribunal devra donc arbitrer entre deux logiques, avec d’abord une approche dite formaliste et préventive, fondée sur le respect absolu des règles UEFA, et ensuite une approche matérielle, évaluant l’existence réelle d’un contrôle effectif. Ce dernier devra également décider des conséquences d’une éventuelle irrégularité, faut-il exclure l’OL de la compétition également ? Ou bien organiser une redistribution exceptionnelle ?

Le tribunal doit rendre sa décision au plus tard le 11 août 2025.

L’encadrement futur de la multipropriété ?

L’affaire Crystal Palace relance ainsi le débat sur l’adaptation des règles de gouvernance du football européen face à la montée en puissance des groupes multi-clubs. L’encadrement actuel semble confronté à ses limites, tant sur le plan juridique que sur celui de la lisibilité économique.

Plusieurs pistes de réforme sont discutées à l’échelle européenne. Avec notamment l’harmonisation des critères de contrôle (influence décisive, liens juridique et financiers) entre les différentes fédérations nationales et l’UEFA ; la mise en place d’une supervision indépendante pour évaluer la réalité de la séparation de pouvoirs entre clubs liés, et enfin une clarification du régime des cessions temporaires et des engagements de sortie du capital, pour éviter les montages de dernière minute.

Ces ajustements permettraient d’éviter les décisions juridico-sportives tardives et les contentieux devant le TAS, tout en offrant un cadre de sécurité aux investisseurs, aux clubs, et aux agents de joueurs.

Conclusion

L’affaire Crystal Palace c. UEFA pourrait marquer un tournant dans la manière dont la multipropriété est traitée en droit du sport. Si le TAS adopte une lecture souple du règlement UEFA, les groupes multi-clubs pourraient être encouragés à mieux organiser leurs cessions en amont. En revanche, une confirmation de la position de l’UEFA conforterait une politique stricte, au nom de l’intégrité.

Cette affaire rappelle également l’importance d’une compréhension fine des règles réglementaires du football européen, tant pour les clubs que pour les professionnels du secteur juridique sportif. Elle illustre l’articulation entre droit privé, gouvernance sportive, et contentieux arbitré devant des instances internationales comme le TAS. A terme, elle pourrait accélérer une réforme en profondeur du modèle européen de régulation du football.

Affaire à suivre d’ici le 11 août …