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Revue Juridique

La requalification des contrats à durée déterminée (CDD) des sportifs professionnels, l’exemple d’Adrien Rabiot

par
EAJF / A. VISTE
le
5/22/25

Six ans après son départ du Paris Saint-Germain (PSG), Adrien Rabiot, a saisi la Cour d’Appel de Paris pour demander la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (CDI). Cette démarche soulève des questions juridiques importantes concernant la nature des contrats des sportifs professionnels et les conditions de leur requalification. L’audience s’est tenue le 15 mai 2025, et la décision de la cour d’appel, est attendue le 19 juin. Cette dernière pourrait avoir des conséquences significatives pour le droit du travail dans le sport professionnel.

Le cadre juridique des contrats des sportifs professionnels

Dans le sport professionnel, la norme est de conclure des contrats à durée déterminée. Depuis la loi du 27 novembre 2015, visant à protéger les sportifs de haut niveau et les professionnels, a été créé un CDD spécifique afin de remplacer le CDD d’usage. En effet, la carrière des sportifs étant courte et liée à des performances variables, les clubs ont pris l’habitude d’avoir recours aux CDD pour plus de flexibilité. Ces contrats sont conclus pour des durées allant par principe de 12 mois à 5 ans au maximum, en fonction des accords des parties et de la réglementation des ligues professionnelles.

Toutefois, il existe une exception concernant la durée minimale, puisque si le CDD spécifique a été conclu en cours de saison sportive, il est alors possible de le conclure pour une durée inférieure à 12 mois, dès lors qu’il court au minimum jusqu’au terme de la saison sportive (Articles L.222-2 à L.222-2-8 du Code du Sport).

Malgré cette habitude, la requalification d’un CDD en CDI est possible si le recours au CDD n’est pas fondé sur un motif légitime, ou si les règles encadrant son usage sont contournées. Un salarié peut ainsi saisir le conseil de prud’hommes en cas de litige.

Bien que la requalification soit très rare, elle n’est pas inédite dans le milieu sportif, puisqu’en 2017, et confirmé par la Cour de cassation en 2022, l’ancien joueur de rugby Patricio Albacete avait obtenu la requalification de son CDD en CDI, en estimant que son poste n’avait pas un caractère temporaire. En effet, la loi du 2015, bien qu’elle impose le CDD dans le sport, elle ne s’applique pas aux contrats qui ont été signés avant.

L’affaire Rabiot c/ PSG

Adrien Rabiot a évolué au PSG entre 2012 et 2019. Durant cette période, il a signé plusieurs CDD. En décembre 2018, après avoir refusé de prolonger son contrat, le joueur a été mis à l’écart par le club jusqu’à l’expiration de son engagement en juin 2019. Estimant que cette mise à l’écart constituait une mesure de rétorsion et un indice du caractère permanent de sa relation de travail, Rabiot demande aujourd’hui la requalification de l’ensemble de sa relation contractuelle en CDI.

Le joueur a initialement saisi le conseil de prud’hommes, mais la juridiction de première instance ne lui a pas donné gain de cause. Il a donc interjeté appel devant la cour d’appel de Paris. Lors de l’audience du 15 mai 2025, ses avocats ont plaidé que son poste au PSG présentait toutes les caractéristiques d’un emploi stable et durable. Contrairement à d'autres contentieux, Rabiot ne fonde pas sa demande sur un préjudice moral mais exclusivement sur une analyse juridique de la relation de travail.

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Les enjeux juridiques et les implications pour le sport professionnel

L’affaire Rabiot s’inscrit dans une tendance émergente visant à mieux encadrer les pratiques contractuelles dans le sport professionnel. Si la cour d’appel lui donne raison, cela pourrait constituer une avancée jurisprudentielle majeure, en instaurant un précédent applicable à d’autres disciplines sportives. Une requalification pourrait alors obliger les clubs à revoir la nature des contrats signés avec leurs joueurs, notamment ceux évoluant depuis plusieurs années dans le même club, et plus particulièrement ceux avec un contrat ayant été signé avant la loi de 2015.

Pour les clubs, une généralisation des requalifications en CDI représenterait un bouleversement de leur modèle économique : cela impliquerait notamment de respecter les règles de licenciement du droit commun et d’abandonner une partie de la souplesse actuelle dans la gestion des effectifs. Pour les joueurs, cela offrirait une meilleure protection sociale et juridique, mais pourrait aussi réduire leur mobilité. Enfin, un tel revirement pourrait générer une série de recours de la part d’autres sportifs dans des situations similaires.

Ainsi, l’affaire portée par Adrien Rabiot va bien au-delà du simple différend entre joueur et ancien club, elle remet en question une partie l’organisation juridique du sport professionnel en France. Si la justice valide la requalification du CDD en CDI, elle ouvrirait donc la voie à une redéfinition profonde des rapports entre clubs et sportifs, et pourrait donc bouleverser les équilibres contractuels actuels. Cette décision très attendue pourrait alors devenir un exemple jurisprudentiel, c’est donc pour ces raisons qu’elle suscite déjà une vive attention de l’ensemble des acteurs du monde sportif.