
Le 2 novembre 2025, la rencontre de Ligue 1 entre le Toulouse Football Club et Le Havre AC (0-0) a laissé place à une polémique bien plus retentissante que le score. Dans les dernières minutes, le Toulousain Aron Dönnum aurait adressé à son adversaire havrais Simon Ebonog un geste jugé offensant : il aurait agité la main devant son nez, comme pour signifier une mauvaise odeur.
L’entraîneur du Havre, Didier Digard, a immédiatement dénoncé un geste raciste, déclarant que « ce qui s’est passé est très, très grave ». Dönnum, lui, réfute toute intention discriminatoire : « Ça n’a rien à voir avec du racisme, c’était une réaction à une odeur. »
Cet incident, relayé par tous les grands médias sportifs, soulève des questions juridiques majeures : quelles sont les implications disciplinaires d’un tel geste ? Quelles conséquences au regard du droit commun ? Et surtout, les sanctions prévues sont-elles cohérentes et dissuasives, notamment à la lumière des précédents récents dans d’autres disciplines ?
La Ligue de Football Professionnel (LFP) sanctionne sévèrement tout comportement discriminatoire. L’article 9 du barème disciplinaire de la Fédération Française de Football (FFF) prévoit qu’un joueur auteur de propos ou gestes à caractère raciste encourt jusqu’à dix matchs de suspension.
Cette disposition vise les « propos, gestes ou attitudes » visant une personne « en raison notamment de son origine, sa race, sa couleur, sa religion ou sa nationalité ».
En pratique, la Commission de discipline de la LFP peut être saisie d’office sur la base du rapport de l’arbitre ou d’images télévisées. Le joueur et son club sont convoqués pour présenter leurs explications. Le joueur encourt :

La difficulté essentielle réside dans la preuve de l’intention discriminatoire.
Le geste est visible, mais la connotation raciste ne l’est pas forcément : était-ce une moquerie liée à une odeur ou une imitation méprisante ?
Or, dans le droit disciplinaire sportif, comme en droit pénal, la qualification suppose un élément intentionnel. Si Dönnum réussit à démontrer que son geste n’était ni raciste ni dirigé contre la personne d’Ebonog pour des raisons d’origine, la Commission pourrait ne retenir qu’un comportement antisportif sans dimension discriminatoire.
Cependant, la perception sociale du geste, notamment dans un contexte de lutte active contre le racisme dans le football, joue un rôle déterminant. Même un geste maladroit, s’il est perçu comme humiliant ou connoté racialement, peut être sanctionné pour son effet objectif sur la victime et sur le public.
Le Code pénal réprime les comportements discriminatoires, injures ou provocations à la haine fondés sur l’origine ou la couleur de peau (articles 225-1 et 33 de la loi du 29 juillet 1881).
Pour que la responsabilité pénale de Dönnum soit engagée, il faudrait prouver l’intention raciste. Un geste isolé, sans propos explicite ni symbole indiscutable, rend cette démonstration complexe.
En pratique, une poursuite pénale semble peu probable à ce stade, sauf dépôt de plainte de la victime.
Dönnum pourrait voir sa responsabilité civile engagée sur le fondement de l’article 1240 du Code civil s’il est démontré que son geste a causé un préjudice moral à Ebonog.
Le club de Toulouse, en tant qu’employeur, a également une obligation de prévention des discriminations (art. L. 4121-1 du Code du travail). Si le club n’agit pas pour sanctionner ou sensibiliser, sa responsabilité peut être mise en cause.
Enfin, le comportement de Dönnum pourrait constituer un manquement à son obligation de loyauté et à l’image du club, ouvrant la voie à une sanction contractuelle interne.
L’affaire met en exergue une tension permanente entre deux impératifs : la lutte contre le racisme et la proportionnalité des sanctions.
Les instances sportives sont aujourd’hui jugées non seulement sur la sévérité de leurs décisions, mais aussi sur leur cohérence interdisciplinaire et leur capacité à créer une norme éthique stable.
Dans le cas Dönnum, la suspension maximale de 10 matchs apparaît relativement modérée au regard des standards d’autres sports.
C’est ici qu’une comparaison critique s’impose avec un dossier récent : l’affaire Melvyn Jaminet en rugby.

En octobre 2024, le rugbyman Melvyn Jaminet a été suspendu 34 semaines (soit près de 8 mois) par la Fédération française de rugby pour des propos racistes tenus à l’encontre d’un coéquipier d’origine maghrébine.
La Fédération avait estimé que de tels faits « portaient gravement atteinte aux valeurs du rugby ». La sévérité de la sanction visait à marquer une tolérance zéro absolue.
En comparaison, la perspective d’une suspension de 10 matchs pour Aron Dönnum paraît bien en deçà.
Certes, la gravité des faits diffère : Dönnum n’a pas tenu de propos explicites, et l’intention discriminatoire reste contestée. Mais sur le plan symbolique, le contraste est frappant.
Cette disparité interroge sur la cohérence disciplinaire du sport français :
Cette prudence juridique se comprend, mais elle peut être perçue comme une forme d’indulgence face à des comportements ambigus, affaiblissant la portée des campagnes « No to Racism » ou « Tous Unis Contre le Racisme ».
Une sanction plus lourde (par exemple : 15 à 20 matchs de suspension assortis d’une formation obligatoire) permettrait non seulement d’affirmer la valeur éducative du droit disciplinaire sportif, mais aussi d’assurer une égalité de traitement entre disciplines.
L’affaire Aron Dönnum dépasse le simple cadre disciplinaire pour toucher à une question de justice symbolique dans le sport.
Si le geste n’est pas explicitement raciste, il reste porteur d’une ambiguïté sociale que les instances sportives ne peuvent ignorer.
Pourtant, la sévérité relative des sanctions en football contraste avec la fermeté affichée par d’autres fédérations, notamment en rugby.
Cette différence révèle une tension profonde : le sport se veut exemplaire, mais son droit disciplinaire demeure fragmenté.
Harmoniser les barèmes, renforcer la pédagogie et valoriser la responsabilité éthique des acteurs sportifs sont des impératifs pour que la lutte contre le racisme ne dépende plus de la discipline concernée, mais devienne une valeur universelle du sport.