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Revue juridique

Réserves en série : l'affaire Almada et les limites du droit sportif

par
EAJF / A. VISTE
le
4/24/25

L’Olympique Lyonnais traverse un nouvel épisode compliqué, dans le sillage de la suspension de Paulo Fonseca et des mesures imposées par la DNCG lors de sa décision du 15 novembre dernier. Pour rappel, le club, dont l’endettement s’élevait à 505 millions d’euros, s’était vu interdire toute opération de recrutement lors du mercato hivernal. La DNCG avait également prononcé une rétrogradation administrative à titre conservatoire, applicable en fin de saison en l’absence d’amélioration substantielle de sa situation financière.

Or, en dépit de cette interdiction formelle, l’OL a procédé à l’intégration de Thiago Almada en janvier 2025. Ce recrutement, réalisé dans des conditions controversées, fait aujourd’hui l’objet de contestations de la part de plusieurs clubs de Ligue 1, qui y voient une violation manifeste des décisions de la DNCG et une atteinte au principe d’équité entre concurrents.

Un transfert sous surveillance

La situation contractuelle de Thiago Almada demeure complexe. Le joueur, en provenance du club brésilien de Botafogo, club appartenant à la filiale d’EAGLE, a été prêté à l’OL sous forme d’un prêt sans option d’achat, de janvier au 30 juin 2025. Cette forme de recrutement permet donc au club de contourner l’interdiction de recrutement imposée.

Cette arrivée anticipée, réalisée dans des conditions floues, et à titre gratuit alors que le joueur est estimé à environ 30 millions d’euros sur le marché des transferts, a immédiatement suscité de nombreuses contestations.

Ainsi, plusieurs clubs de Ligue 1, à commencer par le Toulouse Football Club, Reims, Brest ou Nice, ont déposé des réserves auprès de la LFP, dénonçant un contournement manifeste des règles de la régulation financière, et une atteinte à l’équité sportive. Plus récemment, le LOSC a également déposé une réserve avant le match OL-LOSC.

Néanmoins, dans une décision du 14 mars, les premières réserves avaient été rejetées par le président de la Commission de contrôle des clubs professionnels de la DNCG, en expliquant que le prêt d’Almada n'était pas en infraction avec la décision de la DNCG du 15 novembre dernier qui interdisait notamment à Lyon de recruter l'hiver dernier.

La manœuvre interroge : l’opération constitue-t-elle un simple aménagement juridique permis par la multipropriété, ou un transfert déguisé destiné à échapper au contrôle de la DNCG ? Le fait qu’un joueur aussi valorisé soit transféré gratuitement entre deux clubs du même groupe de propriété renforce les soupçons d’irrégularité.

Les enjeux juridiques

L’affaire ALMADA soulève donc des questions en matière de régulation du football professionnel, et notamment autour de la légalité du montage contractuel et des pratiques de contournement des règlements.

Au cœur du débat, se trouve la question de savoir si le prêt d’Almada à l’OL constitue une simple opération dans les limites permises par les règlements de la Ligue de Football Professionnel (LFP) et de la DNCG, ou s’il s’agit d’un détournement des règles destinées à protéger l’équité compétitive entre clubs. En effet, le prêt sans option d’achat, effectué dans un contexte où le club lyonnais est sous le coup d’une interdiction de recrutement, semble contredire l’intention initiale de la DNCG, qui visait à limiter les recrutements pour des raisons financières.

La multipropriété des clubs, notamment à travers le groupe Eagle Football, aggrave cette situation. La question juridique clé qui se pose ici est celle de la séparation effective des clubs appartenant à un même groupe. Si un propriétaire contrôle plusieurs entités, cela peut mener à des manœuvres de contournement pour éviter les restrictions financières, notamment en transférant des joueurs entre clubs du même groupe à des conditions qui ne sont pas toujours transparentes. Dans le cas d’Almada, le fait qu’il soit transféré gratuitement d’un club brésilien, également propriété du même groupe, soulève des interrogations sur la légalité économique de l’opération.

La DNCG a la mission de surveiller la stabilité financière des clubs professionnels, en particulier pour éviter les dérives économiques et garantir la compétitivité équilibrée des clubs. Toutefois, les récentes décisions de la DNCG montrent une limitation de son pouvoir de régulation face à des pratiques qui, bien qu’ingénieuses, semblent échappées à son contrôle direct. La décision du 14 mars, qui a validé le prêt d’Almada en rejetant les premières réserves déposées par d'autres clubs, illustre bien cette difficulté. La DNCG a considéré que cette opération ne contrevenait pas directement à son interdiction de recrutement, ouvrant ainsi un flou juridique.

Le prêt gratuit, réalisé alors qu'Almada est évalué à 30 millions d'euros sur le marché, questionne le principe de transparence financière qui est censé régir les transferts dans le football professionnel. Si la DNCG semble avoir validé cette opération, il n’en demeure pas moins que d’autres clubs, tout comme l’opinion publique, peuvent estimer qu’il s’agit d’une manipulation de la réglementation. Cette situation montre aussi les failles dans la distinguer entre transfert « classique » et transfert « déguisé », et les limites de l’arsenal juridique actuel face à des pratiques plus sophistiquées.

Enfin, les réserves formulées par les clubs concurrents (comme Lille, Toulouse, Reims ou Nice) ne concernent pas uniquement l’aspect financier, mais aussi la compétitivité sur le terrain. En permettant à l’OL de recruter un joueur aussi précieux qu'Almada dans des conditions contestables, la DNCG risque de mettre en péril l’équité sportive, un principe fondamental du droit sportif. La question sous-jacente est de savoir si des pratiques qui semblent légales dans le cadre de la régulation financière peuvent effectivement créer un déséquilibre compétitif en permettant à un club de contourner les restrictions.

Ainsi, au-delà de l’affaire Almada, cette situation soulève des interrogations majeures pour l’avenir de la régulation du football français, notamment en matière de multipropriété et de légalité des transferts dans un contexte économique de plus en plus complexe. La réponse juridique à ces questions pourrait marquer un tournant dans la manière dont la DNCG et la LFP traiteront les pratiques de contournement à l’avenir.

Conséquences potentielles

Si l’opération Almada est jugée irrégulière, cela pourrait entraîner des conséquences lourdes pour l’OL telles que la sanction financière, l’interdiction de recrutement futur, voire un match perdu sur tapis vert si le joueur est jugé inéligible.

Pour la LFP, ce cas met en évidence la nécessité de renforcer son arsenal réglementaire face aux stratégies de contournement rendues possibles par la multipropriété. Une réflexion sur l’harmonisation européenne des règles pourrait également s’imposer, dans un contexte où de plus en plus de groupes possèdent plusieurs clubs sur plusieurs continents.

Ce dossier pourrait donc faire jurisprudence. Au-delà du cas Almada, il pose la question de l’avenir du modèle économique du football professionnel et de la capacité des régulateurs à faire respecter les principes d’équité et d’intégrité sportive.

L’affaire Thiago Almada n’est pas seulement une manœuvre de mercato, elle est aussi un test grandeur nature pour les règles encadrant le football français. Entre droit, stratégie et éthique, elle dessine les contours d’un futur dans lequel les montages juridiques devront faire face à des exigences croissantes de transparence et de rigueur. La suite dépendra autant des instances que des clubs eux-mêmes, qui semblent déterminés à faire de ce dossier un tournant.