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Revue juridique

Visa, défis et fair-play administratif : la Coupe du Monde 2026 testera aussi les supporters

par
EAJF / N. THOMASSIN
le
10/16/25

Alors que la Coupe du Monde 2026 s’annonce comme la plus vaste de l’histoire - trois pays hôtes (États-Unis, Canada, Mexique) et 48 équipes engagées -, une autre compétition se jouera loin des pelouses : celle des formalités d’entrée. Pour des milliers de supporters, notamment européens, africains et sud-américains, obtenir le droit d’assister aux matchs risque de relever du parcours du combattant.

Un mondial sous haute tension administrative

D’après L’Équipe, Onze Mondial et 20 Minutes, les inquiétudes grandissent : procédures de visa complexes, coûts exorbitants et délais d’attente démesurés pourraient décourager bon nombre de fans. Les villes hôtes américaines redoutent même un Mondial « boycotté par la bureaucratie », d’autant que la politique migratoire américaine reste imprévisible, notamment à l’approche d’une possible alternance politique.

Concrètement, les supporters devront se plier au droit de l’immigration américain, qui distingue selon la nationalité :

  • Les ressortissants de pays membres du Visa Waiver Program (comme la France, l’Allemagne ou le Japon) pourront bénéficier d’une autorisation ESTA valable 90 jours ;
  • Les autres devront solliciter un visa B-2 de visiteur, impliquant entretien consulaire, justificatifs financiers, preuve de retour, et paiement de frais non remboursables.

Or, à la différence de la Russie (2018) ou du Qatar (2022), aucun “visa supporter” n’a été annoncé pour faciliter la venue des fans. Une décision qui pose des problèmes pratiques et juridiques majeurs.


Entre règles souveraines et obligations internationales

Sur le plan du droit international public, chaque État demeure souverain dans la gestion de ses frontières (principe de souveraineté territoriale). Les États-Unis ne sont donc pas tenus d’assouplir leurs conditions d’entrée, même pour un événement planétaire.
Cependant, l’organisation d’une Coupe du Monde implique la signature de Host City Agreements entre la FIFA et les États hôtes. Ces contrats comportent souvent des clauses de facilitation des déplacements (visas simplifiés, exonérations douanières, coordination administrative).

Juridiquement, ces engagements relèvent du droit des contrats internationaux, mais ils n’ont pas la valeur contraignante d’un traité. Autrement dit, la FIFA peut recommander, mais ne peut pas imposer à Washington de modifier ses règles migratoires.
Le risque est donc réel : les supporters pourraient se retrouver dans un vide juridique, sans voie de recours rapide en cas de refus de visa.

Un risque d’inégalité d’accès et de discrimination indirecte

L’autre enjeu est celui du principe d’égalité d’accès à un événement public international, consacré par les règles de bonne gouvernance sportive.
Si certains supporters (européens ou nord-américains) peuvent entrer aisément grâce à l’ESTA, tandis que d’autres (africains, asiatiques, sud-américains) sont soumis à des contraintes lourdes, une discrimination indirecte pourrait être soulevée.
Même si elle ne résulte pas d’une volonté raciale ou politique, cette inégalité de traitement crée une fracture dans l’universalité de la compétition, pourtant chère à la FIFA.

En droit, ce type de situation renvoie à la notion de discrimination indirecte par effet de mesure administrative, parfois examinée par les juridictions internationales (Cour européenne des droits de l’homme, …).

Cependant, les chances de recours pour un simple supporter restent minimes : le visa relève du domaine réservé de l’État.

Des solutions possibles, mais encore floues

Face à cette situation, plusieurs pistes juridiques et diplomatiques sont envisageables :

  1. Accords bilatéraux temporaires entre la FIFA, les fédérations nationales et les États hôtes, créant une procédure accélérée de délivrance des visas.
  2. Clause spécifique dans les contrats d’organisation imposant un quota de visas “événementiels”, à l’image du Fan ID russe.
  3. Pression diplomatique et médiatique : en pratique, l’opinion publique internationale peut pousser les autorités à adopter une approche plus souple.

Toutefois, à ce jour, aucune mesure officielle n’a été confirmée par les autorités américaines, et les ambassades ne disposent pas encore de procédure simplifiée liée au Mondial.


Une équation économique et juridique difficile à résoudre

Les articles de presse soulignent un autre volet juridique : le prix prohibitif des billets et des déplacements. En additionnant billets, visas, vols intérieurs (car les matchs seront répartis sur plus de 4000 km) et hébergements, le coût total pourrait devenir une barrière économique équivalente à une barrière légale.

Or, selon les principes du droit du sport international, notamment ceux dégagés par le Tribunal arbitral du sport (TAS) dans certaines affaires de billetterie ou d’accès aux compétitions, une barrière économique excessive peut être assimilée à une forme d’atteinte à l’équité sportive.
Si la FIFA promeut la diversité et l’universalité, elle doit aussi veiller à ce que ses décisions d’organisation ne créent pas une exclusion de fait des publics les moins aisés.

Conclusion : la Coupe du Monde du droit et du devoir

Au-delà de la ferveur populaire, la Coupe du Monde 2026 mettra à l’épreuve le droit international, les politiques migratoires et les principes de non-discrimination.

L’événement pose une question essentielle : comment garantir la participation des supporters du monde entier tout en respectant les règles souveraines de chaque État hôte ?

Car dans cette édition nord-américaine, le véritable enjeu sera peut-être moins sur la pelouse que dans les consulats : un match entre le ballon rond et la bureaucratie, où le fair-play administratif sera attendu autant que le spectacle sportif.